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mercredi 9 avril 2014

La pollution fait un tabac

Par YVES CHARPAK 
L’industrie du tabac ne lâchera pas facilement ses activités si profitables. De contre-feux en contre-feux, nous nous faisons avoir tous les jours. L’OMS nous annonçait, le 25 mars, que 7 millions de décès prématurés sont liés à la pollution de l’air chaque année, pour le monde entier (1). 


La pollution de l’air, à la fois intérieur et extérieur, serait désormais le principal risque environnemental pour la santé dans le monde. On lisait dans la presse ces derniers jours que la pollution de l’air tuait plus que le tabac, rien ne pourrait faire plus plaisir aux industriels du tabac. On fera l’hypothèse que ça ne relève que de la logique dominante «d’accroche à tout prix», et aussi d’un manque de recul et de compréhension des enjeux scientifiques et sociétaux de nos sociétés dès lors que l’on parle de santé publique.
En effet, le rapport de l’OMS ne vise pas à comparer l’impact de la pollution de l’air en général avec celui du tabac. Car la pollution de l’air, c’est un patchwork de contextes et de risques divers, variables en fonction des niveaux de développement des pays, et on n’a pas le choix de «respirer» ou non. A l’inverse, le tabac est un facteur de risque unique, «choisi», le plus dangereux pour ceux qui y sont exposés, les fumeurs ou leur entourage. Il est par ailleurs aussi un composant important de la pollution de l’air intérieur évoqué par l’OMS sur son site, mais sûrement pas un risque «comparable».
En réalité, l’OMS nous dit que l’on identifie mieux l’impact de la pollution de l’air sur la santé dans le monde… et que cet impact :
- touche surtout les pays pauvres ou émergents… et surtout en Asie.
- est lié pour moitié à la pollution de l’air intérieur dans des pays où le chauffage domestique et la cuisson des aliments se font principalement dans des foyers ouverts sans évacuation ;
- est lié pour une autre moitié à une pollution de l’air extérieur par les transports, l’énergie, les déchets et l’industrie, avec des variations fortes par pays sur la surveillance, les régulations, les technologies, les moyens. Nous sommes concernés aussi en Europe et en France, mais l’impact de la pollution de l’air reste pour nous très inférieur à celui du tabac.
Et il faut bien distinguer la pollution de l’air en général, «imposée» par des contraintes économiques, qui, au niveau mondial, résulte pour une bonne part du manque de moyens des pays pauvres, et celle qui relève de modes de vie «volontaires», dont le tabac : la première pourrait être réduite, mais avec des tensions majeures entre développement et environnement, mais la seconde relève surtout de la faiblesse des décisions politiques et sociétales face à un lobby mondial du tabac. L’augmentation récente dans nos pays de la consommation des femmes et des jeunes en est une bonne illustration.
Il faut dire que les connaissances scientifiques convergent toutes et que la «nébuleuse» du commerce du tabac n’oserait plus prétendre que fumer ou respirer la fumée des autres n’est pas un risque. Mais «elle» a mis en œuvre des stratégies multiples, de lobbying, de communication, de subvention à tout ce qui peut «noyer le poisson» ou laisser penser que le tabac n’est qu’un problème parmi d’autres… et même promouvoir l’idée que le tabac et ses adeptes sont victimes de lobbys technocratiques et liberticides.
Les exemples de ces stratégies multiformes de promotion du tabac ne manquent pas :
- Financer des études universitaires sur les effets secondaires (contrebande et inégalités sociales liées au prix du tabac) de leurs obligations réglementaires (packaging, prix, limitation publicitaire), afin d’alimenter les «écrans de fumée» de campagnes médias et de lobbying, sans mention des résultats en terme de santé des baisses de consommation.
- Offrir des subventions massives au cinéma, aux médias et en particulier aux séries télévisées, pour valoriser à nouveaux les héros consommateurs, ceux qui savent faire des choix personnels «à risque», montrant leur sociabilité de fumeurs opposée à la rigidité triste et excessivement moraliste de ceux qui en veulent à leurs libertés… Les enfants, les jeunes adultes et en particulier les femmes, autrefois non touchées mais aujourd’hui cibles principales de la promotion du tabac en feront les frais dans vingt ou trente ans.
- Des institutions publiques subventionnées se trouvent rapidement en conflit d’intérêt : il en est ainsi des rumeurs sur certains projets d’Interpol (la police «internationale») ou sur le manque d’objectivité de l’Olaf, la police de la Commission européenne, lors de la démission forcée du précédent commissaire européen à la santé à la veille du vote d’une directive européenne sur le tabac. En conclusion, laisser le marketing du tabac imposer ces enjeux et les relayer même «naïvement» n’est pas très responsable.
(1) http://www.who.int/mediacentre/news/ releases/2014/air-pollution/fr

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