Certaines études pointent son efficacité supérieure au patch pour arrêter
de fumer. D'autres dénoncent les risques de ses vapeurs pour la santé. La
cigarette électronique suscite la controverse. La France a pris des mesures
contre ce petit appareil en vogue alors que sa dangerosité n'est pas encore
démontrée. Explications.
Pas de goudron, pas d'odeur de tabac et peu de nicotine. Les Français sont
de plus en plus nombreux à "vapoter". Mise au point en Chine en 2004,
la cigarette électronique compterait 500.000 adeptes en France. Mais y a-t-il
des risques pour la santé ? Pour le moment, difficile de le savoir. Les députés
ont voté en juin l'interdiction de la vente de cigarettes électroniques aux
mineurs. En mars, Marisol Touraine, ministre de la Santé, avait annoncé avoir
"commandé une enquête" sur ce produit qui ne fait l'objet d'aucun
contrôle sanitaire. Objectif : évaluer le "bénéfice-risques".
Si elles ne contiennent ni tabac ni goudron, les cigarettes électroniques
comportent différents solvants, comme le propylène glycol et la glycérine. Le
premier est un additif chimique longtemps utilisé dans les traitements contre
l'asthme. Il est ainsi classé par la Food and Drug administration (FDA) des
Etats-Unis parmi les "substances généralement reconnues comme
inoffensives". Ce produit est aussi utilisé dans l'alimentaire comme
émulsifiant dans les sauces et assaisonnements. La glycérine, elle, est
également utilisée en pharmacologie, dans les cosmétiques ou dans
l'alimentaire. Les spécialistes s'interrogent pourtant sur l'impact à long terme
de ces solvants sur la santé.
Des études
contradictoires
Il n'existe encore que peu d'études sur le sujet. Et elles ne disent pas la
même chose. Certaines révèlent les effets bénéfiques de la cigarette
électronique, notamment sur le risque cardiaque ou sur le sevrage tabagique
comme cette étude néo-zélandaise parue dimanche 8 septembre dans la revue
britannique The Lancet qui "suggère que la cigarette électronique est
comparable au patch à la nicotine pour aider les fumeurs à arrêter sur une
période d'au moins six mois". Dans une autre étude parue en août 2012, des
médecins grecs ont présenté les résultats d'une enquête qui a montré que
substituer des fausses cigarettes aux vraies pourrait être bénéfique pour le
cœur. Un autre essai publié en 2011 dans la revue BMC Public Health a montré
son impact pour arrêter de fumer. Selon Jean-François Etter, professeur en
santé publique à l'université de Genève interrogé par Le Figaro, "il est
probable que la cigarette électronique diminue les symptômes du sevrage, comme
l'irritabilité, les troubles du sommeil, la prise de poids, l'impatience (..)
De plus, elle procure un soulagement rapide".
A l'inverse, d'autres études sont plus réservées. Dans l'une d'entre elles,
parue en 2010, des chercheurs de la FDA ont révélé la présence dans certaines
recharges, de deux molécules utilisées dans des médicaments : le rimonabant et l'amino-tadalafil. Le
premier est un anti-obésité dont des études auraient montré qu'il pourrait
favoriser le sevrage tabagique, mais qu'il serait aussi responsable de troubles
dépressifs et suicidaires, indique Sciences et Avenir. Quant à
l'amino-tadalafil, il s'agit d'un dérivé du tadalafil, la molécule utilisée
contre les troubles de l'érection dans le Cialis, concurrent du Viagra.
Un rapport commandé par l'OMS (Organisation mondiale de la santé), et rendu
public en novembre 2012, révèle, lui, la présence de dix substances toxiques et
indique qu'"il pourrait y avoir des discordances entre la teneur en
nicotine selon l'étiquetage et les valeurs réelles".
Enfin, selon une autre étude parue en août dernier, les e-cigarettes
"peuvent émettre des composés potentiellement cancérogènes", assure
la revue 60 millions de consommateurs de septembre qui a testé une dizaine de
modèles, jetables ou rechargeables, et a alerté les autorités sur des défauts
d'étiquetage.
Trop de nicotine dans certaines cigarettes électroniques
Justement. Les cigarettes électroniques peuvent en fait contenir des
quantités importantes de nicotine. Des mesures faites par l'Afssaps ont montré
que les recharges pouvaient contenir jusqu'à 17 mg/ml de nicotine, un produit
dangereux à faibles doses. Dans un avis du 30 mai 2011, l'agence française a
ainsi recommandé "de ne pas consommer ce type de produit".
Autre source d'inquiétude : le flou juridique qui entoure la fabrication et
la commercialisation de la cigarette électronique qui n'est soumise à aucune
législation. L'agence du médicament (ANSM) recommande elle aussi depuis 2011 de
ne pas utiliser les cigarettes électroniques, soulignant que selon leur
concentration en nicotine, elles ne peuvent être considérées comme des
médicaments ou des produits de consommation courante. Mais aucun fabriquant n'a
à ce jour déposé de demande d'autorisation de mise sur le marché en tant que
médicament, relève l'agence.
Un genre de
produit d'initiation pour les jeunes
"J'ai demandé à mes services de me dire très précisément de quel type
de produit il s'agit", a indiqué Marisol Touraine. Pour Bertrand
Dautzenberg, spécialiste du poumon à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, il
faudrait créer une "catégorie spéciale" pour les produits autres que
le tabac contenant de la nicotine et interdire leur vente aux mineurs. Car la
principale crainte des tabacologues interrogés est que la cigarette
électronique devienne un produit d'initiation pour les jeunes. Selon une étude
récente, 64% des jeunes de 12 à 14 ans qui avaient essayé la cigarette
électronique n'avait encore jamais fumé auparavant, souligne le Pr Dautzenberg.
Son efficacité pour arrêter de fumer tout comme sa nocivité font l'objet
d'un vaste débat chez les tabacologues. Si certains conviennent qu'elle est
vraisemblablement moins nocive que la vraie cigarette, la plupart relèvent
qu'ils ne disposent pas de suffisamment d'études à ce stade pour se prononcer.
"Nous n'avons pas assez de recul", reconnaît le Pr Bertrand
Dautzenberg, qui souligne qu'il n'existe actuellement aucune étude sur des
patients utilisant le produit depuis plus de six mois. "Ma recommandation
est que si vous êtes un gros fumeur, c'est peut-être bien de passer à la
cigarette électronique, mais ne l'utilisez pas trop longtemps"
ajoute-t-il.
Même réticence chez le Dr Yves Nadjari, cardiologue tabacologue attaché à
l'hôpital Cochin à Paris : "Si quelqu'un a réussi à arrêter de fumer avec
la cigarette électronique c'est bien, mais on déconseille aux gens de mettre un
pied dans la cigarette électronique". "Nous avons très peu de données
sur son impact sur la santé à court, moyen et long terme", renchérit la
tabacologue Nadia Lahlou.